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Mon premier post-partum

Sandrine Lebrun, à l’initiative de la formation Envol & Matrescence, a demandé aux promos un exercice d’écriture intuitive sur ce sujet.

Mon corps et mon mental s’en souviennent, bien qu’il date d’il y a vingt et une années. Des souvenirs s’estompent et d’autres restent. Avec un enfant pour la vie suite à ces passages presque initiatiques, le déni me semble impossible. Je ne raconterai que le premier. Le second est distillé un peu partout sur cette planète.

Dans mon cas, le contexte d’une grossesse a largement annoncé la couleur de mes post-partum. Le premier était donc inattendu, imprévisible (même si je me doute qu’il ne peut jamais être prévisible). Le mot approprié serait imprévu. J’étais jeune et en même temps je me sentais prête, bien qu’absolument pas informée. Je pensais que savoir ne m’aiderait en aucun cas à y arriver. Première erreur. Enfin oui et non, c’est surtout inexact.

La naissance s’est déroulée sans que j’en sache quoi que soit, rien. Ce serait mentir que de dire que la préparation proposée à l’hôpital m’a aidée à quelque chose. Dans le sens où je n’ai pas su m’en servir.

Après la naissance, j’ai basculé du jour en lendemain dans les abîmes de l’inconnu : un désert intersidéral de solitude, de douleurs physiques et mentales. J’ai sombré dans la tourmente d’un cyclone, d’un ouragan, d’une tornade…dès le séjour à la maternité. La puissance de l’amour que j’ai ressenti n’a rien changé à cette descente aux enfers. J’ai dissocié. Dangereusement. Et en même temps c’est arrivé de manière lucide (ça c’est ce que je pense 21 ans après). C’est-à-dire que je me suis vue perdre pieds, couler dans cet océan immense, sans rives alentours alors que je suis terrifiée par l’immensité. Résignée et sans me débattre, parce que sans aucune énergie, aucune possibilité de faire autrement.

Concrètement comment c’était ?

Après la naissance, c’est l’impression de ne recevoir aucun soutien, même avec une armada de soignant.e.s. Des discours, des conseils contradictoires, dans tous les sens mais sans aucun sens. Rien pour s’accrocher. Aucune empathie, nulle part. « C’est normal Madame ».

Me concernant, ça s’est aussi traduit par une perte totale de pudeur. Alors que je suis extrêmement pudique. J’ai su plus tard que des visiteurs avaient été choqués par cette soudaine absence. Ils ont vu ce qu’ils n’avaient jamais vu. Je ne m’en rendais pas compte, comme si j’étais redevenue primitive.

Sans filtre pour communiquer, j’ai dit tout ce qu’il me passait par la tête. C’était facile, c’est dans ma nature. Disons que le filtre était factice quand je jouais un rôle dans la société. Le post-partum s’en tape du faux-self, il a fait valdinguer le « faire comme-ci ».

Outre le fait que les neurones en prennent un sacré coup de manière normale, j’ai perdu le fil de toutes mes pensées. Il m’était impossible de réfléchir. Heureusement que je n’avais rien à réfléchir. Mon quotidien est passé en mode automatique avec pour seul objectif : prendre soin du bébé. Je me nourrissais très peu, j’ai perdu énormément de poids. Ça aussi c’est considéré comme normal : la préoccupation maternelle primaire. A ce stade, c’est de l’ordre du baby-blues.

La nuance qui différencie le baby-blues de la dépression post-natale c’est son installation, donc sa durée et l’absence de bonheur, selon mon expérience. Un quotidien dans la solitude, répétitif, sans projets d’avenir, avec la peur de l’avenir…Tout le reste est aussi considéré comme habituel : l’épuisement, le manque cruel de sommeil, les pleurs du nourrisson et de la mère…question d’hormones. Je me souviens aussi de la lenteur de la vie, de mes réactions, voire l’absence de réactions, comme si j’étais éteinte et au ralenti. Je me rappelle avoir beaucoup regardé la télévision, comme pour anesthésier tout ça, au détriment de la relation avec mon enfant. Je restais prostrée chez moi, dans le silence, avec ce bébé dont j’avais fini de m’occuper : soins, couche propre, tétées terminées. Que faire d’autre ? Je sortais peu, mon fils hurlait à plein poumons dans sa poussette. Sortir était devenu un cauchemar. Les nuits aussi. La peur de ses pleurs m’a hantée longtemps.

Plusieurs mois se sont écoulés. Remontée à la surface, ma tête est sortie de l’eau. J’ai opté pour un filet de portage, les balades se sont apaisées. Un suivi ostéopathique s’est mis en place grâce à un ami, pour les douleurs de mon fils, les pleurs se sont estompés. Un mode d’accueil a été tenté en collectivité, échec cuisant. Une merveilleuse assistante maternelle a pris le relais. La mission locale m’a accompagnée dans une recherche d’emploi. Un semblant de vie a repris son cours.

Je pense en être complètement sortie quand j’ai trouvé du travail, soit deux années après l’accouchement.